Les mesures des gaz à effet de serre de l’Empa sur le Jungfraujoch démontrent des lacunes dans la déclaration de leurs émissions

Manipulation des statistiques??

18 août 2011 | MICHAEL HAGMANN

Les hydrocarbures fluorés sont des gaz à effet de serre très puissants et les pays signataires du protocole de Kyoto se sont engagés à réduire leurs émissions. Si l’on en croit les déclarations des pays participants, en Europe occidentale par exemple, les émissions de trifluorométhane (HFC-23) ont nettement diminué ces dernières années. Les mesures des polluants réalisées par l’Empa prouvent maintenant toutefois que certains pays déclarent des émissions inférieures à la réalité. Ainsi, par exemple, l’Italie relâche dans l’atmosphère de dix à vingt fois plus de HFC-23 qu’elle ne le déclare officiellement.

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Les accords internationaux, tels que le protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, posent le plus souvent un problème du fait qu’une vérification de leur respect par une instance indépendante n’est guère possible. Ainsi l’appréciation du respect ou non par les pays signataires des objectifs de réduction des hydrocarbures fluorés repose sur les seules déclarations officielles de ces derniers à l’UNFCCC («United Nations Framework Convention on Climate Change»). S’ils annoncent de faibles émissions ils font alors bonne figure et si non ils se retrouvent au pilori.
 

Cela pourrait bientôt changer. Les mesures des polluants atmosphériques réalisées par l’Empa avec un appareil spécial, associant la chromatographie en phase gazeuse à la spectrométrie de masse, dénommé «MEDUSA» – entre autres au Jungfraujoch à une altitude de 3580 mètres – ne permettent pas seulement d’estimer rapidement et avec fiabilité les immissions de plus de 50 gaz à effet de serre halogénés mais aussi d’identifier leurs régions d’émission. Avec des résultats qui donnent à réfléchir: l’Europe occidentale émet deux fois plus de trifluorométhane (HFC-23) qu’il n’en est fait état dans les déclarations officielles. Une étude sur ce sujet a été publiée récemment dans la revue «Geophysical Research Letters».

 

 
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Concentrations de HFC-23 au Jungfraujoch: Il existe une grande divergence entre les valeurs effectivement mesurées (gris) et les valeurs calculées à partir des inventaires officiels (bleu foncé); la modélisation réalisée par l’Empa (rouge) concorde nettement mieux avec les valeurs mesurées.

 

 
«Nos résultats montrent que les mesures de ce type sont effectivement appropriées pour vérifier le respect des accords internationaux sur la protection de l’air», explique le chercheur Stefan Reimann du laboratoire Polluants atmosphériques/Technique de l’environnement de l’Empa. Le protocole de Kyoto ne prévoit certes pas encore de mécanismes de contrôles; mais ces mesures pourraient être d’une importance centrale dans des accords subséquents fixant des objectifs d’émission de caractère obligatoire.
 

«The ususal suspects»?
Des soupçons que quelques pays ne faisaient pas preuve de sérieux dans leurs déclarations d’émissions de gaz à effet de serre planait depuis longtemps déjà; les extrapolations à partir des valeurs de mesure du réseau mondial AGAGE («Advanced Global Atmospheric Gases Experiment») aboutissaient à des valeurs nettement plus élevées que celles données dans les déclarations officielles. «On supposait alors que la Chine avant tout et quelques pays en voie de développement n’annonçaient pas correctement leurs émissions», explique Reimann.

 

Par exemple pour ce qui est de leurs émissions de HFC-23, qui, avec une demi-vie atmosphérique de 270 ans, est extrêmement persistant – et dont l’activité climatique est de plus encore près de 15'000 fois plus élevée que celle du CO2. Le HFC-23 se forme comme sous-produit lors de la production du chlorodifluorométhane (HCFC 22) qui s’utilise comme agent réfrigérant et agent moussant ainsi que dans la fabrication du téflon. L’«avantage» du HFC-23 : il n’est pratiquement émis que par les usines produisant du HCFC-22. Et en 2008, ces usines n’étaient qu’au nombre de six en Europe occidentale. «Nous connaissons ainsi très exactement les sources», explique Reimann.

Pour estimer aussi précisément que possible les quantités de HFC-23 présentes dans l’atmosphère au-dessus de l’Europe occidentale, Riemann et son doctorant Christoph Keller ont analysé entre juillet 208 et juillet 2010 les concentration de HFC–23 au Jungfraujoch ainsi qu’à Mace Head, une station de mesure du réseau AGAGE dans l’ouest de l’Irlande. Ils ont décelé toujours à nouveau lors de cette analyse des pics mystérieux qui dépassaient de loin la pollution moyenne. A l’aide de modèles de transport atmosphérique, ils ont alors calculé d’où provenaient les masses d’air renfermant du HFC-23 apparaissant au Jungfraujoch – pour découvrir que ce HFC-23 provenait essentiellement de la seule fabrique de HCFC-22 d’Italie située à l’ouest de Milan.

 

 
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L’inventaire de l’UNFCCC sous-estime les émissions effectives de HFC–23. Avec des modèles de transport, les mesures faites au Jungfraujoch permettent de localiser avec précision toutes les six sources d’émissions.

 

 

L’Italie «propre»: depuis 1996, quasiment plus d’émissions de HFC-23 déclarée

Jusque là tout va bien. Si ce n’est que les chiffres officiels de l’Italie ne mentionnent quasiment plus d’émissions de HFC-23 – et cela déjà depuis 1996. Un cas isolé? Reimann et son équipe voulaient en avoir le cœur net; ils ont déterminé avec le soutien financier de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) les quantités de HFC-23 émises dans toute l’Europe occidentale pour la période de 2008 à 2010 et localisé les régions sources. Ces émissions étaient environ deux fois plus élevées que les valeurs déclarées – avec des différences importantes entre les pays pour ce qui est de leur «précision de déclaration».

A côté de l’Italie qui se trouve «en tête du peloton», la Hollande et la Grande-Bretagne ont aussi notablement sous-estimé leurs émissions; les émissions de la France et de l’Allemagne concordaient par contre avec leurs déclarations. Et le modèle de calcul a permis d’identifier avec grande précision toutes les six fabriques de HCFC-22. «Ce qui est cependant réjouissant dans cela, c’est que nous pouvons «voir» des sources d’émissions qui sont éloignées de plusieurs centaines de kilomètres», conclut Reimann. Pour procéder à de telles analyses sur un plan global, il faudrait toutefois élargir le réseau de stations de mesures, cela plus particulièrement en Europe centrale et orientale ainsi qu’en Extrême Orient.

 

 
 


 

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C. A. Keller, D. Brunner, S. Henne, M. K. Vollmer, S. O'Doherty, and S. Reimann (2011), Evidence for under-reported western European emissions of the potent greenhouse gas HFC-23, Geophys. Res. Lett., 38, L15808, doi:10.1029/2011GL047976
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