30e Apéro scientifique de l’Empa

A la recherche du secret de Stradivarius

4 sept. 2006 | REMIGIUS NIDERÖST

Depuis des centaines d’années la sonorité incomparable des violons Stradivarius fascine les mélomanes. Comme celle du Stradivarius dont joue Anne Sophie Mutter ces jours au Festival de Lucerne. A la fin du mois d’août deux scientifiques et un luthier ont emmené les hôtes de cet Apéro scientifique de l’Empa à la recherche du secret d’Antonio Stradivarius.

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Est-ce que ce célèbre maître luthier utilisait un vernis spécial ou des minéraux pour traiter le bois, ou est-ce que ce sont même des champignons qui conféraient au bois ses qualités sonores? Depuis les luthiers tentent de découvrir ce qui fait la différence et veillent minutieusement à la qualité du bois qu’ils utilisent. Ce n’est toutefois que depuis quelques années que les scientifiques eux aussi se sont penchés sur l’épicéa qui est le bois le plus utilisé comme bois de résonnance par les luthiers et les facteurs de pianos.


Le bois – un matériau aux nombreux visages

L’épicéa est utilisé comme bois de résonance parce qu’il contribue pour beaucoup à la production du son et aussi parce que ce bois poussait jadis en abondance au voisinage des manufactures d’instruments, a expliqué Christoph Buksnowitz de l’Universität für Bodenkultur à Vienne devant une assistance de 150 personnes intéressées. L’épicéa utilisé en lutherie doit présenter des caractéristiques physiques tout à fait particulières. C’est ainsi par exemple que le diamètre des troncs doit atteindre au minimum 40 centimètres pour pouvoir fournir les planches de la taille nécessaire à la construction d’un violon. La distance entre les cernes doit être régulière et atteindre environ 5 millimètres pour conduire parfaitement le son. C’est pourquoi les conditions de croissance des arbres jouent un rôle décisif comme l’a expliqué Buksnowitz. Seuls les épicéas qui croissent une altitude supérieure à 1000 mètres sont ainsi aptes à être utilisés en lutherie. Trop de lumière et de vent sur un seul côté provoquent une croissance irrégulière et amoindrissent la qualité du bois. Mais ce n’est pas encore tout: pour éliminer les contraintes internes du bois, les troncs doivent subir un séchage naturel de plusieurs années.

Tous ces facteurs influencent la formation et la disposition des trachéides qui sont le type de cellule principal des résineux. Si leur paroi est mince, la densité du bois est plus faible et il est plus léger. Un effet recherché en lutherie car il améliore les caractéristiques de résonance et la diffusion du son. Mais ceci rend aussi le bois moins résistant, ce qui exerce une influence négative sur la stabilité du violon. L’acoustique d’un instrument est ainsi notablement influencée par la structure des cellules du bois. Un luthier expérimenté reconnaît la qualité d’un bois déjà par sa couleur seulement. C’est ainsi que par exemple la disposition des cernes ou une attaque de champignons modifient la teinte du bois.

On peut se demander pourquoi on utilise encore toujours un matériau aussi compliqué que le bois de résonnance – et non pas des matériaux moins susceptibles de variations tels que les fibres de carbone – pour la table d’harmonie des violons. «Bien sûr c’est concevable, mais l’utilisation de l’épicéa comme bois de résonnance est liée à une longue tradition. Son aspect et ses propriétés sonores demeurent uniques» a relevé Buksnowitz.

 

Les champignons comme auxiliaires utiles

Pendant longtemps on a pensé qu’une attaque de champignons sur un arbre ne pouvait qu’avoir des conséquences néfastes. Le fait que ceci ne soit pas obligatoirement le cas en lutherie, c’est ce que tente de prouver Melanie Spycher dans sa thèse de doctorat réalisée à l’Empa.

 
Eprouvette d’épicéa infecté par des champignons
 

Pour cela elle stérilise des buches d’érable et d’épicéa et les inocule ensuite avec différents champignons lignivores quelle laisse ensuite se développer durant 20 semaines dans une enceinte climatisée.

Les premiers résultats sont étonnants, a expliqué Melanie Spycher: «Les différents champignons agissent différemment sur les différents bois.

 
Avec le schizophylle commun, un champignon du groupe des champignons provoquant la pourriture blanche, nous sommes parvenus à obtenir des modifications de la structure du bois appropriées pour la lutherie». Un brevet a été déposé pour cela au mois de juin.
 
Avant l’attaque par les champignons, ce bois d’érable possède des parois cellulaires plus épaisses (à gauche) qu’après son infection par des champignons lignivores (à droite).
  Ce champignon réduit l’épaisseur des parois des cellules du bois. La densité du bois diminue, ce qui rend le violon plus léger et améliore la qualité du son, mais le bois conserve malgré tout la résistance nécessaire.
 

Des violons sans âme

Le métier du maître luthier Michael Rhonheimer pourrait bientôt déjà être influencé par les travaux de recherche de l’Empa sur le bois de résonnance. Aujourd’hui encore, il réalise dans son atelier à Baden des violons de maître avec quasiment les mêmes outils qu’aux 16e et 17e siècles. Les gauges, les scies, les rabots, les grattoirs et la prêle en font partie. Mais la sonorité d’un violon n’est pas seulement influencée par le bois, d’autres détails tels que la voûte de la table et du fond, le positionnement et la taille des ouïes dans la table jouent aussi un rôle. Avant qu’un violon neuf réalisé de la main d’un luthier émette son premier son, il faut bien compter une année et plus de 300 heures de travail.

Rhonheimer a aussi expliqué qu’un violon neuf peut tout à fait supporter la comparaison avec un violon ancien. Alors que les instruments anciens sont marqués par leur époque et sa culture, les instruments neufs ont l’avantage d’offrir la possibilité de tenir compte des désirs de l’artiste lors de leur fabrication. Ce maître luthier ne pense pas beaucoup de bien des violons fabriqués industriellement: «Le contacts avec le matériau n’existe plus. Un violon en fibre de carbone a une sonorité sans âme» Par contre il n’a rien à objecter aux modifications du bois qui pourraient permettre de réaliser à l’avenir des violons très proches de ceux créés par Stradivarius.

Auteur:

Lukas Herzog, Section Communication, tél. 044 823 48 76,

Contact:

Dr. Francis Schwarze, Lab. Bois, tél. 071 274 72 47,
Melanie Spycher, Lab. Bois, tél. 071 274 76 24,