19e Apéro scientifique de l’Académie Empa

Pour voyager malin, et plus sûr, le train, malgré un risque résiduel

3 sept. 2004 | MARTINA PETER
Même à l’époque des trains à grande vitesse modernes, le train demeure le moyen de transport le plus sûr, toutefois il restera toujours un certain risque résiduel. C’est la conclusion à laquelle sont arrivés trois experts qui ont abordés le thème de la sécurité des chemins de fer sous trois angles différents: sous celui de l’accident de l’ICE à Eschede, du concept de sécurité du tunnel de base du Gothard et de la comparaison des risques de différents modes de transport.

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Avec les nouveaux trains à grande vitesse tels que le TGV français ou l’ICE allemand, ces dernières années le train concurrence de plus en plus l’avion pour les distances moyennes. Sur le réseau ferroviaire suisse aussi, avec le changement des horaires au mois de décembre, la vitesse maximale augmentera à 200 km/h. A ces vitesses, la sécurité devient une question qui se pose de plus en plus et c’est aussi à ce thème qu’était consacré 19e Apéro scientifique de l’Empa «Nos chemins de fer sont-ils sûrs?» qui a eu lieu le 23 août à l’Académie Empa.

 

Un accident sans coupables

Le 3 juin 1998, le bandage d’une roue de l’ICE «Willhelm Röntgen», qui roule à 200 km/h en direction de Hambourg se rompt. Cette rupture reste tout d’abord inaperçue et un morceau de cette pièce défectueuse vient malencontreusement se coincer dans un aiguillage qu’elle actionne. La partie postérieure de la rame est alors déviée sur la voie voisine, l’ICE fonce alors à pleine vitesse sur deux voies parallèles et à Eschede il entre en collision avec un pont. Les conséquences sont effroyables: 100 personnes meurent et autant son blessées. Selon Rolf Kieselbach, ancien expert en analyse des dommages à l’Empa, l’énergie cinétique d’une rame ICE lancée à 280 km/ est de trois gigajoule. «Cela correspond au pouvoir explosif d’environ 700 kg de TNT». Dans le procès ouvert à la suite de cet accident, l’Empa a été appelée à fonctionner comme expert. Rolf Kieselbach qui a dirigé cette expertise, a recherché les causes qui avaient pu conduire à la rupture de fatigue de ce bandage de roue. Pas plus les examens de laboratoire que les calculs n’ont révélé de défauts de construction de la roue ou des défaut du matériau utilisé ni de découvrir un défaut initial sur la surface de rupture. Il a certes constaté la présence de minuscules amorces de fissures mais de telles amorces de fissures ont aussi été décelées sur les 5000 autres roues démontées pour contrôle sur les autres ICE. Sur aucunes des autres roues ces minuscules amorces de fissures n’ont provoqué de rupture par fatigue vibratoire. Ce qui a amené Rolf Kielselbach à constater en guise de conclusion: «A mon avis ceci est un exemple typique de risque résiduel». La procédure judiciaire a été arrêtée après deux mois. Sur les compositions ICE actuelles, les roues à bandage ont été remplacées par des roues pleines.

 

Simple et sûr

Les ingénieurs de l’entreprise Alptransit Gotthard AG doivent eux aussi compter avec un risque résiduel. Toutefois dans ce tunnel ferroviaire le plus long du monde ce risque résiduel sera plus petit que sur le reste du réseau ferroviaire des CFF ainsi que l’a déclaré le deuxième orateur. Christophe Kauer, responsable de la sécurité d’exploitation de Alptransit a souligné que le plus haut degré de sécurité ne peut être atteint que si la sécurité est prise en compte déjà au stade de l’étude du projet. Ceci est aussi valable pour la construction, l’acquisition du matériel d’infrastructure et du matériel roulant ainsi que pour la conception des systèmes d’exploitation, d’alarme et de sauvetage. Une sécurité très élevée dans un seul domaine n’a aucun sens, a relevé Christophe Kauer, les investissements dans la sécurité doivent bien au contraire être coordonnés entre eux. Sur le tunnel de base du Gothard, on a choisi de réaliser deux tubes à simple voie reliés par des galeries transversales tous les 325 m. Chaque tube comporte deux «stations multifonctions» avec des quais éclairés et ventilés où les passagers peuvent être évacués rapidement des trains. A partir de là, si nécessaire, ils peuvent être dirigés dans le tube voisin pour y être mis en sécurité. De plus, pour ce qui est des aiguillages, dont les défaillances sont la cause la plus fréquente des déraillements, les voies de ce tunnel de 57 km de long n’en comportent que quatre alors que le reste du réseau des CFF en compte en moyenne 1,7 par kilomètre. Par principe, les installations doivent être aussi simples et aussi robustes que possible et il faut renoncer à toute sophistication: Autant que nécessaire mais aussi peu que possible est ici la devise qui s’impose.
Pour éviter les accidents dans le tunnel, seuls des trains «sains», c’est-à-dire fonctionnant parfaitement pourront pénétrer dans le tunnel, cela grâce à un système de détection précoce des défaillances. Toutefois, ainsi que Christophe Kauer a dû le concéder, aucun fabricant n’offre encore un tel système. Sur le réseau des CFF, il n’est actuellement possible que de déceler les freins bloqués et surchauffés. Le plan prévoyant la répression du freinage de secours lors du déclenchement du signal d’alarme n’a pas lui non plus encore été réalisé. Un tel dispositif devrait empêcher que les passagers puissent provoquer un arrêt du train à un endroit dangereux du tunnel. «Pour ce qui est de la sécurité, Alptransit se concentre en premier lieu sur les mesures de prévention des événements ou sur celles permettant l’auto-sauvetage» a conclu Christophe Kauer. Sur un tunnel de 57 km de longueur, l’intervention d’équipes de secours extérieures est extrêmement difficile.

 

Risques et statistiques

En tant que passager, il a le sentiment que le train est très sûr, a déclaré Matthias Müller en ouverture de son exposé. Cette impression personnelle concorde aussi avec son expérience d’ingénieur en gestion des risques de la société de réassurance SwissRe. Un regard sur les statistiques des causes des accidents ferroviaires surprend: Un accident sur deux est dû à une collision avec des  véhicules étrangers au trafic ferroviaire ou avec des personnes. Un accident sur cinq peut être mis au compte de problèmes techniques sur l’infrastructure ou le matériel roulant et seulement un sur dix à des problèmes organisationnels tels que des erreurs d’aiguillage. Le fait que le trafic ferroviaire soit aussi presque autant contrôlé que le trafic aérien, et en tout cas beaucoup plus que le trafic routier, parle encore en sa faveur. Par contre, pour les trains qui peuvent compter jusqu’à 1000 passagers, les dimensions potentielles d’une catastrophe sont naturellement bien plus grandes.
La comparaison du nombre de morts et de blessés des accidents de ces trois modes de transport aboutit toujours à la même image, a résumé cet expert en matière de risques. Par le rail, la sécurité des passagers est légèrement plus élevée que dans les airs et – suivant sur quelles bases sont effectués les calculs – elle est de 3 à 240 fois plus élevée que sur la route. Ce classement reste le même lorsque l’on considère par exemple la capacité de transport, la consommation d’énergie ou encore les nuisances pour l’environnement. Malgré tous les avantages que présentent le train sur le plan de la sécurité, il n’en demeure pas moins que, comme l’avaient relevés les orateurs précédents: «Le train est sûr – mais il demeurera toujours un risque résiduel.»

 

Rédaction

Matthias Kündig, Section Communication/Marketing, Tél. + 41 44 823 43 96,  

Rémy Nideröst, Section Communikation/Marketing, Tel. +41 44 823 45 98, Remigius.Nideroest@empa.ch