Lexpert du Proche-Orient Ulrich Tilgner sur les récents développements en Iran
Un pays en pleine mutation
Ulrich Tilgner, journaliste et expert du Moyen-Orient, qui dirige le bureau de la chaîne de télévision allemande ZDF à Téhéran, a présenté le 17 janvier devant une salle comble à lAcadémie Empa un exposé intitulé «Formation, technologie et développement économique en Iran». Ci-après un résumé de cet exposé passionnant.
En sappuyant sur les développements récents de lhistoire de lIran, Tilgner, qui vit à Téhéran, a tout dabord précisé que, depuis la révolution islamique de 1979, la politique a constamment dominé le développement de ce pays. Les tentatives douverture vers lOuest ont toutefois été bloquées par la communauté internationale pour des raisons qui relèvent de lidéologie et lOuest a appliqué des sanctions économiques à lencontre de ce pays. LIran a perçu ces mesures comme une provocation humiliante ce qui a finalement contribué en 2005 à lélection dun gouvernement radical-conservateur sous la présidence de Mahmoud Ahmadinedjad. Le durcissement des sanctions internationales qui sen est suivi a entre temps a à nouveau réjeté en arrière ce pays ainsi que la montré Tilgner par des exemples personnels de sa vie quotidienne. | ||||
| Comme les grandes banques suisses elles aussi ont gelé leurs contacts daffaires avec lIran, il nest actuellement plus possible dopérer des transferts dargent en Iran par lintermédiaire de banques européennes, et parfois même laccès par Internet aux données de son propre compte en Allemagne est bloqué. Aujourdhui, les conditions du développement de lIran sont clairement dictées depuis lextérieur. Du fait des sanctions internationales prises depuis les dernières élections, le gouvernement ultraconservateur autour du président Ahmadinedjad est de plus en plus isolé sur le plan intérieur. | |||
Il existe des signes clairement visibles dune volonté «dassécher» ses représentants dans ladministration, ainsi que la formulé Tilgner. La majorité de la population ne veut plus dune politique isolationniste dure dominée par la religion. Au niveau politique le plus élevé aussi on sest rendu clairement compte que lIran doit souvrir et se modérer, même si lestablishment religieux conservatif actuellement au pouvoir nest certes pas encore prêt pour entamer le dialogue avec loccident. LIran atomique: bluff ou danger réel? Selon Tilgner la question particulièrement brûlante de la politique atomique de lIran illustre particulièrement bien lattitude contradictoire des actuels détenteurs du pouvoir à Téhéran. Même les experts les mieux qualifiés ne sont pas en mesure de déterminer depuis lextérieur dans quelle mesure les programmes atomiques iraniens sont arrivés à maturité. Tilgner estime quil nest pas totalement exclu quil sagisse dun bluff propagandiste. Lobtention duranium à usage nucléaire militaire demande un taux denrichissement difficilement réalisable de plus de 90%, alors que, selon des sources intérieures, les taux denrichissement atteints en Iran sont actuellement de 8%. Tilgner pense il faudra attendre environ jusquau mois de mars pour pouvoir estimer si la stratégie future des dirigeants iraniens va consister à signaliser une disposition à la négociation ou au contraire à maintenir leur provocation en annonçant de nouveaux progrès dans le domaine nucléaire. | ||||
| Les dirigeants iraniens sous stress Le mécontentement qui germe au sein de la population ne pourra être apaisé que par de larges concessions de la part des dirigeants estime Tilgner. Une situation de stress chronique supplémentaire avec lOuest nest certainement pas supportable à long terme sans affaiblissement du pouvoir intérieur. On peut ainsi sattendre à une certaine modération ou à une manifestation de disposition à la conciliation ou à des compromis de la part de léquipe dirigeante iranienne. | |||
On assiste actuellement à tous les niveaux à une lutte intestine pour le pouvoir entre les forces réformatrices modérées et les conservateurs révolutionnaires. Toute restriction ou dégradation supplémentaire des conditions de vie de la population iranienne conduiraient inévitablement à une perte de pouvoir de lestablishment conservateur. Cest aussi pourquoi le régime tente de consolider sa position vacillante par des mesures de subvention malsaines et économiquement insoutenables à long terme. Par ailleurs, le gouvernement iranien a signalé très clairement dans sa propagande quune attaque occidentale entraînerait inéluctablement un conflit sur plusieurs fronts dans lensemble du golfe qui toucherait très certainement de nombreuses sources de pétrole arabes. Explosion démographique, boom économique et politique pétrolière Pour ce qui est de la question pétrolière, Tilgner a relevé que malgré toutes les restrictions imposées depuis lextérieur, le commerce intérieur est en croissance et la population en augmentation constante. De ce fait, la consommation dénergie de lIran croît de manière exponentielle. Certes, les réserves pétrolières dont dispose le pays sont les troisièmes plus importantes du monde mais leur exploitation natteint plus depuis longtemps le niveau standard actuel du fait du retard technique provoqué par la politique de sanction menée par la communauté internationale. Tilgner a cité des prévisions qui montrent que, vu laugmentation constante des besoins intérieurs, à partir de 2013/2015 lIran ne sera plus en mesure dexporter du pétrole. Comme actuellement, suite au durcissement des sanctions internationales, tous les flux de marchandises en direction de lEurope sont interrompus, cette interruption est compensée par des exportations vers lAsie orientale. Avec le durcissement de la situation politique, laugmentation vertigineuse de la consommation de pétrole de ces pays émergeants ne rend pas à long terme la situation plus simple pour les pays occidentaux. Si la Russie venait à rediriger ses exportations de gaz naturel loin de lEurope, elle exercerait alors en tant principal fournisseur une position de force. Il en va de même sil se produisait une escalade militaire dans la zone du détroit de Hormuz, principale voie dexportation du pétrole des pays du Golfe en direction de lEurope. Ainsi que le rapporte Tilgner, lors des récentes négociations sur les sanctions de lONU, il a été tenu compte presque sans aucune restriction des intérêts de la Russie et les décisions prises ne touchent pratiquement pas les exportations de matériel nucléaire de ce pays vers lIran. Meilleure formation et nouveau rôles des femmes Depuis la révolution islamique, la formation sest notablement améliorée en Iran; lanalphabétisme est pratiquement tombé à zéro au sein de la jeune génération, et les diplômés des universités renommées du pays sont aussi accueillis à bras ouvert à létranger. Avec une croissance économique annuelle denviron 6%, qui est plutôt ressentie comme une stagnation, lIran a un besoin considérable duniversitaires et doit aussi créer chaque année de plus en plus de places de travail pour occuper une population sans cesse croissante. Selon les observations faites par Tilgner, ce développement rapide est en grande partie assuré par des femmes bénéficiant dune formation élevée. Actuellement, même dans les facultés techniques et scientifiques, près des 60% des étudiants sont des femmes. Même dans sa propre équipe de production, Tilgner a engagé deux femmes comme assistantes chose impensable il y a encore quelques années. «Les femmes sont tout simplement meilleures» a lancé ce spécialiste des médias, déclenchant par là des applaudissements spontanés dans lassistance. Ce développement entraîne cependant à long terme aussi certains problèmes sociaux car les femmes bénéficiant dune formation élevée ont souvent des difficultés à trouver un conjoint adéquat. Des sanctions en partie contreproductives Au cas où les installations nucléaires iraniennes seraient lobjet dune attaque militaire, Tilgner pense que le conflit ne resterait pas limité car le développement technique de lIran est est étonnamment élevé dans certains domaines; lIran tout comme la Chine copie et modifie de manière virtuose les produits de haute technologie étrangers. Suite au chaos créé par la guerre dans lIrak voisin, lembargo existant ne permet pas de faire cesser totalement le transfert de produits occidentaux high-tech et de systèmes darmement modernes. Si les sanctions prises contre lIran venaient à être encore renforcées, le pays avec son développement actuel pourrait sappuyer pendant peut-être encore six à huit ans sur ses ressources de matières premières, financières et humaines avant de collaber politiquement et devenir ainsi un facteur dimplosion au Proche-Orient. et cela avec des conséquences parfaitement prévisibles ainsi que la souligné Tilgner en guise de conclusion. Auteur: Dr. Matthias Nagel, Empa | ||||