Des chimistes de l’Empa et de l’EPFZ posent les bases pour l’évaluation des risques des ignifugeants bromés

Bromés pour l’éternité

19 juin 2007 | SABINE BORNGRÄBER

Les ignifugeants chimiques ont permis la percée triomphale de nombreuses matières plastiques. Mais ce qui protège les plastiques contre le feu représente un risque potentiel pour l’environnement les animaux et l’homme. Des chimistes de l’Empa maintenant examiné de plus près  l’ignifugeant bromé très utilisé qu’est l’hexabromocyclododécane (HBCD). Il est apparu que le HBCD est présent sous plusieurs formes spatiales, appelées stéréoisomères. En collaboration avec l’EPF de Zurich, les chercheurs de l’Empa ont développé une méthode d’analyse avec laquelle ils sont parvenus à différencier pour la première fois huit stéréoisomères différents du HBCD. Cette géométrie compliquée de la molécule du HBCD a des conséquences: seuls deux de ces isomères s’enrichissent dans la chair des poissons. D’autres études seront nécessaires pour déterminer en quoi se différencient encore ces différentes formes du HBCD. Ce n’est qu’alors qu’il sera possible de procéder à une évaluation définitive des risques possibles du HBCD ainsi que le relèvent les chercheurs de l’Empa.

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Les ignifugeants sont partout. Prenons par exemple un bureau, avec un ordinateur, une table, une chaise, un téléphone, ou le fauteuil rembourré du chef. Et moins visibles, les gaines des câbles électriques ou les mousses isolantes. Presque tout ce qui est en plastique renferme une bonne portion d’ignifugeant. Sans cet additif il suffirait d’une étincelle pour que le plastique brûle comme de la paille. Sans eux notre vie quotidienne serait bien plus dangereuse. Les ignifugeants empêchent un peu comme un extincteur intégré qu’une inadvertance se transforme en catastrophe.

 
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Les déchets de démolition des isolations de façades peuvent receler des ignifugeants.
 

Mais cette protection contre le feu a son prix. Certains ignifugeants sont soupçonnés d’être toxiques pour l’homme et l’environnement. Tels que par exemple les substances renfermant du brome (bromées) actuellement très utilisées qui ont pour avantage de bien se mélanger aux matières plastiques mais qui posent problème dans différents écosystèmes. En tant que POP - polluant organique persistant – qui s’enrichit dans la chaîne alimentaire, le diphényléther bromé est interdit, à une exception près, sur le plan international depuis 2004. «Mais ce n’est là que la pointe de l’iceberg», déclare le chimiste de l’Empa Martin Kohler. «Pour beaucoup de produits chimiques actuellement utilisés on ignore s’ils exercent ou non une action perturbatrice sur le système endocrinien de l’homme et des animaux.»

 

Les ignifugeants bromés s’accumulent dans l’environnement

Le laboratoire «Chimie analytique» de l’Empa est à la pointe du progrès sur le plan international dans la détection de ces produits chimiques qui exercent une action sur l’environnement. En 2003 déjà, l’équipe de Heinz Vonmont rendait attentif aux risques potentiels de l’hexabromocyclododécane, en abrégé HBCD. Ces scientifiques avaient découvert que cette substance s’accumulait dans la chair des poissons et dans les sédiments du Greifensee, un lac peu profond dans le canton de Zurich. L’analyse des couches de sédiments ont montré que les concentrations de HBCD avaient constamment augmenté au cours des 20 dernières années.

Cette période de 20 ans n’est pas un hasard: le HBCD est en effet vendu dans le commerce comme ignifugeant depuis 1984. Jusqu’ici on n’avait accordé que peu d’attention à la composition chimique de cette substance. Toutefois, il y a peu de temps, le chimiste analyticien de l’Empa Robert Heeb et son collègue Bernd Schweizer de l’EPFZ ont fait une découverte étonnante: le HBCD est un mélange d’au moins huit stéréoisomères. Bien que tous ces isomères comportent le même anneau de 12 atomes de carbone et possèdent la même formule brute – autrement dit la même composition- ils diffèrent entre eux par leur structure spatiale.

 
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Des corégones (palées) préparés pour la mesure de leur teneur en HBCD. Deux des huit formes différentes du HBCD s’accumulent dans leur tissu adipeux.
 

Un seul nom – diverses formes

Tout ceci rappelle l’affaire du lindane. Vendu dans les années 60 comme produit de protection du bois et pour le traitement de la galle, il est par la suite apparu que le lindane était un mélange toxique d’isomères. Seul l’un d’entre eux élimine la vermine. Les autres sont sans action contre les insectes mais, du fait de leur faible dégradabilité, ils s’accumulent dans l’environnement et sont soupçonnés d’être cancérigènes. Dans les mélanges de HBCD commercialisés aussi deux formes, les gamma isomères, dominent. Heeb constate «on ne sait pas jusqu’ici s’ils sont toxiques ou non» par contre tous les huit isomères possèdent une action ignifuge qui repose sur la libération de radicaux brome dès que le plastique chauffe dangereusement.

 

Aujourd’hui encore, on ne sait pas grand chose des effets à long terme du HBCD sur l’environnement. Une chose est cependant certaine: plus le mélange à analyser est complexe, plus l’évaluation de ses risques est difficile. Dans les poissons, les chimistes de l’Empa n’ont par exemple retrouvé que les deux formes du alpha-HBCD qui est ainsi soupçonné d’être particulièrement difficilement dégradables. «L’alpha-HBCD ressemble à un «donut» explique Heeb en parlant de sa structure. «Il présente la plus grande symétrie parmi tous les isomères du HBCD.»

Ceci avec des conséquences éventuellement fatales. Des études montrent que le HBCD pourrait perturber le système endocrinien et par là le métabolisme. On a également observé une action nocive sur les cellules nerveuses. Des souris, nourries avec un aliment renfermant du HBCD peu après leur naissance, apprenaient moins bien à s’orienter que leurs collègues non traitées et étaient à peu près incapables de retenir ce qu’elles avaient appris. Mais on n’a pas établi jusqu’ici quelle forme du HBCD est responsable de cet effet.

 

Une évaluation des risques basée sur les effets sélectifs

Pour éclaircir ce point, il est nécessaire de tester isolément les différents isomères. «Les effets du HBCD constatés jusqu’ici pourraient bien être provoqués par les delta- et epsilon-HBCD» déclare Heeb, «soit deux isomères qui sont présents à moins de un pour-cent dans le produit industriel» S’il s’avérait que seuls certains isomères sont toxiques ou s’accumulent dans l’environnement, on pourrait produire de manière ciblée au moyen de méthodes de synthèse stéréosélectives les isomères inoffensifs 

L’agence des produits chimiques suédoise «Keml» a littéralement arraché ces résultats des mains des chercheurs de l’Empa. Cette agence, qui travaille actuellement sur mandat de l’UE à l’évaluation européenne des risques du HBCD, ignorait jusqu’ici ces faits. Grâce aux résultats de l’Empa, cette agence gouvernementale peut maintenant commencer une évaluation sélective.

 

En Suisse aussi les ignifugeants bromés sont l’objet d’études dans le  programme national de recherche PNR50 «Perturbateurs endocriniens» auquel participe l’Empa. Les chercheurs de l’Empa réalisent des études sur l’ampleur de la libération dans l’environnement de ces substances et sur leur influence sur l’homme, les animaux et les écosystèmes. Les résultats de ces travaux de recherche doivent permettre d’arriver cette année encore à un consensus – entre les chercheurs, les autorités et l’industrie – sur les effets des ignifugeants bromés et sur les mesures légale recommandées. Ce consensus formera la base pour évaluer selon les connaissances actuelles quels sont les ignifugeants qui peuvent être considérés comme inoffensifs et lesquels doivent être mis à l’index.


Informations:
Dr Heinz Vonmont, Chimie analytique, tél. +41 44 823 4132,


Rédaction:
Dr Sabine Borngräber, Communication, tél +41 44 823 4916,