La SATW et l’Empa lancent la discussion sur les aspects éthiques des technologies convergentes

Nano-Bio-Info-Cogno: lorsque les disciplines scientifiques fusionnent

6 déc. 2007 | MICHAEL HAGMANN

Les limites entre les différentes disciplines des sciences physiques et naturelles modernes s’estompent de plus en plus, une «véritable» interdisciplinarité conduit à une fusion de nombreux domaines du savoir. C’est surtout à l’interface entre la nanotechnologie, la biotechnologie et les technologies de l’information ainsi que les sciences de la cognition que les choses bougent beaucoup. Les micropuces implantables, qui grâce au savoir-faire nano communiquent avec les cellules corporelles et transmettent leurs données à un ordinateur, ne sont là qu’un exemple parmi d’autres. A la mi-novembre, quelques 30 experts se sont réunis à l’Empa St-Gall sur invitation de la Commission de l’éthique et de la technique de l’Académie suisse des sciences techniques SATW pour y discuter de la convergence «Nano-Bio-Info-Cogno» et des questions éthiques qui y sont liées – par exemple celle de «l’amélioration» de l’homme et sous quelle condition une telle «amélioration» est admissible.

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légende: Le Prof. Dr Lorenz Hilty, chef du laboratoire «Technologie et société» de l’Empa et hôte de cette réunion.

«Notre objectif était d’identifier les principales questions éthiques en relation avec les technologies convergentes pour ensuite les approfondir une à une lors de manifestations ultérieures» a déclaré Ulrich Lattmann, président de la Commission de l’éthique et de la technique de la SATW et organisateur de cet atelier de travail.

 
Ulrich Lattmann, Président de la Commission de l’éthique et de la technique de la SATW et organisateur de la réunion.
 

Il s’agit maintenant de s’attaquer à cette tâche, cette première rencontre ayant fourni assez de «matière première». Cela entre autres parce que les participants – en entière conformité avec les thèmes abordés – provenaient des horizons les plus divers. Ainsi que l’a relevé Lorenz Hilty qui dirige le laboratoire de l’Empa «Technologie et société» et était l’hôte qui recevait cette manifestation, il est des plus réjouissant que toutes les quatre académies suisse – à côté de la SATW, l’Académie des sciences naturelles (SCNAT), l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) et l’Académie suisse des sciences humaines et sociales (ASSH) – aient participé à cette discussion. «Ceci à conféré à cette réunion un caractère véritablement interdisciplinaire.»

 

Transhumanisme – ou la tentative «d’améliorer» l’homme

Et ce ne sont en effet pas les questions brûlantes qui manquent: où cesse la thérapie et où commence la manipulation de l’homme? Ou sous quelles conditions est-il souhaitable ou non d’exercer sciemment une influence sur la conscience et l’identité humaine? Que se passera-t-il si tous les objets qui nous entourent deviennent «intelligents» et sont en réseau – lorsque nous aurons ainsi crée un «Internet des choses» dans lequel nous vivrons? L’exemple de «l’amélioration de l’homme» a mis en évidence une des difficultés de ce discours. «Aussi longtemps que nous parlons de thérapie médicale, il y a obligation éthique de soigner», explique Lorenz. «Fort bien. Mais souvent il n’existe qu’une frontière étroite et floue entre thérapie et amélioration.»

Cependant bien que le progrès technique ouvrira dans l’avenir des possibilités qui paraissaient tenir de la science fiction il n’y a encore que quelques années, les questions qui les accompagnent n’ont souvent rien de nouveau. «Les tentatives «d’améliorer» l’homme sont pratiquement aussi anciennes que l’humanité», a déclaré par exemple Anders Sandberg du Uehiro Centre for Practical Ethics à l’Université d’Oxford. Sandberg participe aussi au projet «ENHENCE» financé par l’UE et qui s’occupe des questions éthiques et philosophiques en relation avec ce que l’on appelle le transhumanisme. L’épopée babylonienne de Gilgamesh, le plus vieux «roman» de l’humanité, traite de l’immortalité, «en quelque sorte l’amélioration humaine par excellence» comme le relève Sandberg. De plus les frontières ne sont là pas non plus aussi nettes que l’on pourrait le croire. «Lorsque nous buvons du café, la caféine augmente notre pouvoir de concentration. Cependant très eu d’entre nous pensent à l’amélioration de l’homme lorsqu’ils boivent du café», déclare Sandberg. Pour les médicaments qui augmentent les facultés cognitives, tels que les psychostimulant Modafinil, le cas est déjà plus clair. Ce médicament développé à l’origine pour soigner la narcolepsie est utilisé aujourd’hui par exemple par les étudiants avant un examen – et cela contrairement à sa destination originelle, dans ce que l’on appelle un «off-label use» – pour augmenter les capacités de mémorisation.

 

L’interface entre l’homme et des machines de plus en plus «intelligentes» au centre de l’attention

Dans le domaine des interfaces homme-machine l’avenir à déjà commencé. «Dans un club de Barcelone, les hôtes peuvent se faire implanter une micropuce servant à les identifier, à payer leur entrée et leur consommation etc.», a rapporté Arie Rip, un expert de l’évaluation des choix technologiques de l’University of Twente. «Ceci est une pure affaire de mode – mais aussi le premier pas vers l’homme lisible par ordinateur.» A propos d’ordinateurs: différentes études menées sur des enfants qui passent beaucoup de temps à jouer sur un ordinateur montrent selon Sandberg que les ordinateurs nous influencent déjà aujourd’hui – et cela sans convergence technologique. «Les jeux sur ordinateur influencent notre capacité visuelle», explique Sandberg. Les enfants qui jouent souvent sur un ordinateur présentent une meilleure capacité visuelle dans la périphérie de leur champ visuel. «Quant à savoir si cela est bon ou mauvais, il faudra encore attendre pour le savoir», commente Sandberg.

 
La discussion sur ces thèmes brisants s’est poursuivie avec animation durant les pauses aussi.
  Les rapports entre l’homme et les machines plus ou moins «intelligentes» est sans cesse revenu au centre de la discussion. Pour Torsten Fleischer de l’Institut «für Technikfolgenabschätzung und Systemanalyse» du «Forschungszentrum Karlsruhe», il s’agit pour les technologies convergentes de l’intégration de l’homme dans un univers de plus en plus en plus technifié, donc de la possibilité – ou de l’obligation – pour l’homme de pouvoir communiquer toujours plus efficacement avec la machine. «Et la question qui s’impose immédiatement et de savoir à qui cette communication est imposée.» Karl Knop de la SATW est du même avis; les technologies convergentes rendent en quelque sorte perméable la frontière entre nature animée et nature inanimée. «Le défi éthique est pour moi de savoir si nous avons sans plus le droit de franchir cette barrière?»
 

Le but: une «table des dix commandements» pour les scientifiques

A la fin de cette rencontre tous les participants partageaient l’avis qu’au lieu de mener des discussions éthiques abstraites, les réunions futures devraient être plutôt consacrées à des applications concrètes telles que la stimulation cérébrale, les matériaux «intelligents» ou les nouvelles technologies d’identification et de surveillance pour en tirer des recommandations sur leur application. «Ce dont nous avons besoin c’est d’une sorte de «table des dix commandements», d’un catalogue de directives définissant ce qu’est une pratique juste et bonne», a résumé Thomas Stieglitz, qui expert en microtechnique biomédicale à l’Université de Fribourg-en-Brisgau.

 

Informations
Prof. Dr Lorenz Hilty, Empa, Technologie et société, tél. +41 71 274 73 45,
Ulrich Lattmann, SATW, tél. +41 62 295 46 85,

Rédaction
Dr Michael Hagmann, Empa, Communication, tél. +41 44 823 45 92,

 
 
 
Que sont les technologies convergentes?
L’expression «technologie convergente» recouvre de manière très générale la forte interpénétration ou la fusion de différents domaines du savoir. Au sens strict, cette convergence se rapporte aux quatre domaines centraux technologico-scientifiques que sont la nanotechnologie, la biotechnologie, la technologie de l’information et la science de la cognition La US-National Science Foundation a organisé en 2002 une première réunion sur la convergence placée sous le titre «Converging Technologies for Improving Human Performance», dont l’accent portait sur les perspectives que devrait ouvrir la convergence pour ce qui est de l’amélioration des facultés humaines et de la qualité de la vie et des bénéfices qu’elle pourrait présenter pour la société. C’est de cette réunion que date l’abréviation «NBIC»devenue maintenant courante pour Nano-Bio-Info-Cogno. Au contraire des voix plutôt techno-optimistes des USA, en Europe des voix se sont élevées pour mettre en garde contre les risques des sciences «fusionnées», auxquelles ont doit l’abréviation un peu teintéed d’ironie «BANG» formée des initiales du nom des «matières premières» de ces disciplines que sont Bits, Atomes, Neurones et Gènes.