Un dialogue sur les chances et les risques de la nanotechnologie

La technologie de l’extrêmement petit: un potentiel énorme à condition de l’appliquer convenablement

5 juil. 2007 | MICHAEL HAGMANN

La nanotechnologie a le vent en poupe. Il suffisait pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil sur le Kursaal bien rempli lors de la deuxième édition de la NanoConvention qui s’est déroulée jeudi et vendredi dernier à Berne. Avec un public aussi varié que les thèmes abordés: du Conseiller fédéral en passant les champions de la nanotechnologie, des représentants de l’industrie, des assurances et de la finance et jusqu’à des juristes, des éthiciens et des philosophes – au total quelques 300 participants avaient répondu à l’invitation de l’Empa pour discuter de cette «technologie-clé du 21e siècle» et de ses effets sur la science, l’économie, la santé, l’environnement et la société.

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Et c’est ce qu’ils ont fait deux jours durant – avec animation et abondance. «Là où des intérêts et des points de vue divergents se rencontrent naissent des discussions captivantes – et éventuellement aussi des idées nouvelles» a déclaré le CEO de l’Empa Louis Schlapbach. «Le but de l’Empa est d’élaborer les bases nécessaires pour utiliser la nanotechnologie là où elle promet d’être la plus profitable à la société et d’agir avec prudence là où les risques prédominent.» C’est aussi exactement dans la ligne de cette «tradition» que se situe la NanoConvention.

 
Le Conseiller fédéral Pascal Couchepin lors de son allocution d’ouverture de la Swiss NanoConvention 2007 au Kursaal à Berne.
 

Avec son initiative visant à dépasser le conflit entre «nanohype» et alarmisme l’Empa arrive au bon moment, ainsi que l’a attesté le Conseiller fédéral Pascal Couchepin qui a ouvert la NanoConvention 2007. Selon Couchepin cette manifestation est des plus importantes pour mettre en lumière aussi bien les chances immenses que les risques potentiels de la nanotechnologie et lancer un dialogue objectif.

 

Georg Karlaganis de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) s’et exprimé dans le même sens: «La NanoConvention est une contribution très importante à l’élargissement du dialogue sur une utilisation responsable de la nanotechnologie.»


Nano – pas si  nouveau que ça

Les thèmes «Fascination», «Innovation» et «Sécurité» de la nanotechnologie étaient aussi au centre de la discussion. Et sur un point tous les experts étaient unanimes: «Nano» possède un potentiel considérable. Il n’y a guère de domaines qui ne subiront pas de changement profond du fait de la nanotechnologie. Que ce soit la science des matériaux, la technologie de l’information, la biomédecine ou les technologies de l’environnement – le nano – ou en simplifiant, la manipulation de la matière au niveau moléculaire – ouvre la possibilité de développer des matériaux aux propriétés totalement nouvelles et «taillées sur mesure». Aujourd’hui déjà les nanomatériaux ont envahi notre vie quotidienne, comme l’a montré Antje Gerber de l’entreprise Degussa GmbH par différents exemples Et ceci pas seulement depuis peu; Degussa a par exemple mis sur le marché son premier produit nano en 1949 déjà: un oxyde de silicium qui assure depuis une meilleure élasticité aux tubes pour infusion, une brillance accrue aux couleurs d’imprimerie, une meilleure adhérence aux peintures et une meilleure adhésivité aux colles, pour ne citer que quelques-unes de ses applications. Alors qu’il ne s’agissait là «que» de l’amélioration de matériaux existants, Gerber laisse aussi entrevoir dans le futur le développement de matériaux totalement nouveaux.

Le nano n’est pas nouveau dans les produits alimentaires aussi ainsi que l’a montré Werner Bauer, Chief Technology Officer chez Nestlé. «Le lait et les crèmes glacées sont de magnifiques exemples de produits alimentaires nanostructurés avec des gouttelettes de graisses et autres particules de taille nanométrique», déclare Bauer. L’incorporation dans des aliments de nanomatériaux fabriqués artificiellement n’est toutefois pas (encore) envisageable. «L’industrie alimentaire est très conservatrice lorsqu’il s’agit d’introduire de nouvelles technologies.» Cela semble être plus simple et plus rapide en électronique. «Mais aimeriez vous manger quelque-chose de totalement inconnu comme aliment?» a formulé de façon rhétorique Bauer.

Par contre là où l’on place de grandes espérances dans la nanotechnologie, ce sont les domaines connexes, tels que la production – par exemple des machines résistant davantage à l’usure et éventuellement pourvues de revêtements antibactériens – dans de domaine de l’emballage avec des capteurs ou des systèmes de contrôle capables de déceler rapidement et avec fiabilité une infestation par de bactéries ou des phénomènes semblables. «Dans ces domaines, la nanotechnologie aidera à rendre nos aliments encore plus sûrs» déclare Bauer. « Mais dans le commerce alimentaire proprement dit, je ne vois pour le moment pas d’applications concrètes pour la nanotechnologie.»

Patrick Hunziker de l’Hôpital universitaire de Bâle a souligné le grand potentiel de la nanotechnologie dans les applications médicales. Les nanoconteneurs polymères développé par son équipe peuvent être remplis avec un principe actif et détecter (après injection) dans le corps un type de cellule bien précis pour y être absorbés et délivrer ce principe actif dans le tissu cible. «Dans le futur, en médecine, la nanotechnologie sera plus importante que la thérapie génique» c’est ce dont est convaincu Hunziker. «Et cela  aussi bien dans le domaine de la thérapie que dans celui du diagnostic.»


La nanotechnologie comme remède universel?

Parmi tous ces élans d’enthousiasme, le pionnier de la nanotechnologie Georges Whitesides de l’Université de Harward a toutefois lancé une mise en garde contre des attentes trop élevées. «Plus petit n’est pas forcément meilleur; le nano n’est ainsi pas toujours la réponse adéquate» a déclaré Whitesides. Il faut utiliser correctement la nanotechnologie – ou la «science de l’extrêmement petit» comme Whitesides la nomme. Personne ne peut actuellement prévoir avec certitude si elle déclenchera un jour une révolution scientifique comme l’invention de la roue, le développement de la machine à vapeur ou l’introduction de l’électricité.

 
Le pionnier de la nanotech et orateur invité de l’année dernière Don Eigler (à gauche) du centre de recherche IBM à Almaden en conversation avec Arthur Vayloyan du Credit Suisse, sponsor principal de la manifestation.
 

La nanotechnologie ne doit jamais devenir un but en soi, mais elle doit être utilisée pour le profit de la société a souligné Arthur Vayloyan, membre du Private Banking Management Committee du Credit Suisse, sponsor principal de la NanoConvention de cette année. Les grands défis de l’avenir tels que l’approvisionnement en eau d’une population mondiale sans cesse croissante constitueront son épreuve probatoire. «L’eau existe en suffisance mais le plus souvent c’est soit de l’eau salée soit de l’eau polluée» déclare Vayloyan.

 

Des chercheurs américains auraient développé récemment une technologie utilisant les nanotubes de carbone pour le dessalage de l’eau de mer. Pour transposer aussi rapidement que possible de tels développements à la pratique, «les banques, les assurances, l’industrie, la politique et les sciences doivent s’unir» a déclaré Vayloyan. «Si nous parvenons à faire passer le savoir de la recherche à l’économie – et que les bailleurs de fonds y trouvent de plus aussi leur compte – nous aurons alors une ‚triple-win situation’.» Pour faciliter aux investisseurs l’accès à la nanotechnologie, le Credit Suisse a lancé au début de la NanoConvention 2007 le «Credit Suisse Global Nanotechnology Index» qui regroupe 20 firmes actives au niveau global offrant des produits nanotechnologiques. «Rétrospectivement sur les cinq dernières années, cet index aurait augmenté d’environ 14% par année, ce qui est par exemple davantage que le NASDAQ», a déclaré Giles Keating, chef du Global Research Private Banking et Asset Management du Credit Suisse. Keating a aussi présenté le modèle d’évaluation «WINS»; ce modèle développé par le Credit Suisse permet d’évaluer de manière systématique, objective et reproductible les entreprises nanotechnologiques des différentes branches de l’industrie sur lesquelles il n’existe le plus souvent pas de données historiques et qui ne possèdent pas de produits arrivés à maturité commerciale.

Mais dans le domaine de l’énergie aussi, les méthodes nanotechnlogiques seront source de progrès considérables, comme en sont convaincu aussi bien Vayloyan que Whitesides. Ceci, selon Whitesides, pour une raison bien simple: «Nombreuses sont parmi les technologies énergétiques nouvelles celles qui fonctionnent avec les composants de taille nanométrique, comme par exemple les piles photovoltaïques ou les piles à combustible.» Pour les mémoires électroniques aussi ce chercheur de Harward prévoit une amélioration sensible grâce à la nanotechnologie. «Nous pourrons mettre en mémoire des masses de données – et cela pratiquement pour trois fois rien»  Mais ceci recèle aussi un risque: une atteinte possible à la sphère privée. «Chacun deviendra totalement transparent, toutes les données personnelles pourront être enregistrées» comme le craint Whitesides. Ceci est un sérieux problème qui résulte de la nanotechnologie et sur lequel la société devrait s’interroger.


Ce sont avant tout les nanoparticules libres qui recèlent des risques

Actuellement ce sont principalement les nanoparticules libres qui sont dans le collimateur de la recherche sur la nanosécurité. Ces particules libres, lorsqu’elles sont respirées, peuvent pénétrer profondément dans les poumons et à partir de là même parvenir dans la circulation sanguine, ainsi que Peter Gehr de l’Université de Berne l’a montré à l’aide de micrographies électroniques. Et l’on ne peut guère se protéger contre ce mode d’exposition. «Nous pouvons bien éviter d’entrer en contact avec des nano-produits alimentaires ou cosmétiques, mais nous ne pouvons pas cesser de respirer», a commenté Gehr.

Les particules inhalées sont absorbées par les macrophages du système immunitaire qui nettoient les poumons des corps étrangers qui y pénètrent. A côté de cela ces nanoparticules parviennent aussi dans les globules rouges et aussi dans d’autres cellules immunitaires. Dans une vidéo en accéléré impressionnante Gehr a montré comment un macrophage transmet une nanoparticule à une cellule dendritique – une autre cellule du système immunitaire. Gehr présume que ces cellules alarment alors le système immunitaire et déclenchent ainsi une réponse immunitaire contre les nanoparticules.

A l’intérieur des cellules aussi, les nanoparticules se déplacent pratiquement sans entraves. L’équipe de Gehr a découvert de minuscules particules de polystyrène jusque dans le noyau cellulaire et dans les mitochondries qui sont la centrale énergétique de la cellule.  «Nous ne savons pas encore ce que cela peut signifier» déclare Gehr. «Mais il est possible qu’elles puissent provoquer des dommages sur les chromosomes dans le noyau cellulaire». Des travaux supplémentaires devront maintenant éclaircir cela.


Il y a nanoparticules et nanoparticules

Mais toutes les nanoparticules ne sont de loin pas dangereuses pour la santé. «On a toujours cru que les nanoparticules étaient en général plus toxiques que les particules plus grandes de la même substance» a expliqué le toxicologue David Warheit du DuPont Haskell Laboratory for Health and Environmental Sciences à Newark dans l’état du Delaware aux USA. Warheit a montré qu’il n’en allait pas du tout ainsi par des études sur des rats auxquels on avait fait inhaler différentes nanoparticules. Conclusion: Toutes les nanoparticules ne présentent pas la même toxicité. «Il faut donc étudier séparément chaque type de particules» explique Warheit. Afin d’unifier les études sur les effets des nanoparticules sur l’homme et pouvoir ainsi mieux estimer leurs risques, Warheit a élaboré récemment en collaboration avec l’organisation de protection de l’environnement américaine «Environmental Defense» des directives générales à ce sujet. Ces directives intitulées «Nanorisk Framework» qui ont été présentées le 21 juin 2007 montrent comment mettre en place une gestion des risques efficace pour les nanomatériaux et devraient assurer une utilisation responsable des nanomatériaux. Warheit a aussi rassemblé dix tests toxicologiques qui devraient servir à l’avenir à tester les nanoparticules. Par exemple pour déterminer les réactions provoquées par l’inhalation des nanoparticules, par leur contact avec la peau ou les yeux, mais aussi leurs effets sur les algues, les puces d’eau ou les poissons. «Ces tests devraient permettre fournir un «profil de risques» relativement fiable pour les différentes particules», déclare Warheit qui dirige aussi le European Centre for Ecotoxicology and Toxicology of Chemicals.

En Suisse aussi il se passe des choses dans le domaine de la nanosécurité. Sur mandat des offices fédéraux de l’environnement (OFEV) et de la santé publique (OFSP), une équipe interdisciplinaire, dans laquelle l’Empa était aussi représentée, vient de publier un rapport de base sur la gestion des risques des nanoparticules synthétiques qui servira à l’établissement d’un «plan d’action» que – comme l’espèrent ces offices fédéraux – le Conseil fédéral devrait adopter cette année encore. «Le but de ce plan d’action est de réduire au minimum les effets nuisibles éventuels des nanoparticules et de protéger la société et l’économie contre leurs conséquences financières ou contre les mauvais investissements», a déclaré Georg Karlaganis de l’OFSP. De plus une étude a été effectuée sur la création d’un programme de recherche national «Chances et risques de la nanotechnologie» dont la réalisation sera probablement décidée cette année encore.


Le risque zéro n’existe pas – pour les nanomatériaux non plus

De nombreux participants de la NanoConvention 2007 ont aussi souligné l’immense déficit de recherche qui existe dans le domaine de la nanosécurité. «Les lacunes de connaissance sont parfois énormes et il s’agit de les combler aussi rapidement que possible» déclare par exemple Helmut Horn de la Hochschule für Angewandte Wissenschaften Hamburg et du Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland BUND.

Mais ceci ne fournira pas non plus une sécurité totale - qui n’existe d’ailleurs dans aucun domaine de notre vie. Comme le montre l’exemple de la nanotechnologie, il faut davantage se demander comment la société doit se comporter vis-à-vis de cette insécurité, a déclaré le chercheur de l’Empa Lorentz Hilty. «Le développement de nouvelles technologies sera toujours plus rapide que l’étude de tous leurs effets possibles. Nous devrons donc apprendre à vivre dans et avec cette insécurité.»

La nanotechnologie ne diffère pas sur ce point des autres technologies innovatrices du passé. Selon Arie Rip de l’Université de Twente, les nouvelles technologies ont toujours déclenché des réactions opposées: un enthousiasme et un refus. «Ceci est dû à leur nouveauté, des technologies nouvelles et inconnues viennent remplacer l’ordre établi. Et on peut soit le saluer soit le refuser» a déclaré cet expert hollandais de l’évaluation des choix technologiques.

 
Le philosophe Peter Sloterdijk a stimulé la réflexion des participants de la Swiss NanoConvention 2007 avec son exposé émaillé de touches d’humour sur l’homme en tant qu’Homo technologicus.
 

Des «immigrants» en provenance de Nanoland

L’origine de cette hostilité vis-à-vis de la technique, le philosophe allemand Peter Sloterdijk la situe chez son «collègue» Jean-Jaques Rousseau et son «retour à la nature» auquel il oppose un «en avant vers la technique!» «L’homme ne se conçoit que comme Homo technologicus, il a toujours été un animal technique et le restera toujours.» Un retour à la nature romantique de Rousseau n’est ainsi pas possible.

 

Par ailleurs la nanotechnologie incarne un modèle technique totalement nouveau. «La nanotechnologie est très proche de la nature parle fait qu’elle repose sur des méthodes biomimétiques, qu’elle imite pour ainsi dire la nature alors que pratiquement toutes les techniques antérieures s’opposaient en quelque sorte à la nature», explique Sloterdijk. Néanmoins il est nécessaire, comme pour toute technologie, réfléchir  si l’on veut accorder ou non l’hospitalité à ces conquêtes technologiques – ou à ces immigrants comme les nomme Sloterdijk de manière imagée. «Nous avons quasi naturalisés nos automobiles, elles dorment déjà dans nos maisons.» Pour la nanotechnologie, cette «immigrante en provenance du Nanoland», la décision reste encore à prendre.

Cette décision doit être prise dans un dialogue au sein de la société, un point sur lequel régnait une large unanimité. Arie Rip a confirmé que les scientifiques ont tiré la leçon des expériences passées. «Par comparaison à ce qui s’est passé il y a vingt ans lors de l’introduction de la biotechnologie, le domaine technologie et société a largement gagné en importance.» Dans de nombreux pays le dialogue a été entamé avec la population, ainsi  par exemple en Grande-Bretagne avec le «NanoJury» ou ici en Suisse avec le «publifocus Nanotechnologie» réalisé par le Centre d’évaluation des choix technologies TA-SWISS

Les participants à la NanoConvention n’ont pas eu à se plaindre d’un manque de thèmes de dialogue. Mais ce dialogue doit maintenant se poursuivre au-delà des portes du Kursaal de Berne, ainsi que l’a exprimé le CEO de l’Empa Louis Schlapbach. «L’Empa restera active dans ce domaine aussi comme elle le sera dans ceux de la nanotechnologie et de la recherche sur la nanosécurité.» La plateforme interdisciplinaire que la Swiss NanoConvention 2007 a offert à ses participants a en tout cas à nouveau rencontré un vif succès et déjà des voix se sont élevées pour réclamer sa prochaine édition. «Un vœux auquel nous accéderons volontiers en temps donné», a conclu Schlapbach.

 

Rédaction: Michael Hagmann